La traduction comme exorcisme du corps dans l'écriture de S. Beckett

Montini C
2009-01-01

2009
2843211115
« La tâche d’un écrivain — pas d’un artiste, d’un écrivain — est celle du traducteur » , écrit Beckett en citant Proust dans son essai dédié à l’auteur de La Recherche. L’aparté « pas d’un artiste, d’un écrivain », est ajouté par l’auteur et auto-traducteur irlandais. C’est donc le langage qui distingue l’écrivain de l’artiste, car il traduit ses perceptions sensorielles dans sa langue. Et pour que l’œuvre soit originale, le langage demande à être codifié à son tour par l’écrivain qui invente son « code individuel et unique, ce que les linguistes appellent idiolecte » . L’institution d’un code préalable à la création du véritable corps du texte est la troisième des cinq phases du travail créateur tel qu’il a été défini par Anzieu dans son remarquable essai Le corps de l’œuvre. Cette troisième phase a lieu après le « saisissement créateur » (l’inspiration) et la « prise de conscience de représentants psychiques inconscients » (sorte de révélation sensorielle, le « je fixe les délires » de Rimbaud). Quand l’écrivain arrive à organiser ces deux phases — qui relèvent la première de l’inconscient et la deuxième du préconscient — dans son Moi conscient, il passe d’une imagerie mentale à l’abstraction (qui peut être la formule du scientifique) et crée donc son code auquel il doit donner un matériau qui fera le corps de l’œuvre . « En choisissant un code qui va organiser l’œuvre désormais en projet, le créateur réintroduit le Surmoi dans le circuit du travail psychique de la création. » Beckett commence d’abord à écrire en anglais, dans une sorte de monolinguisme polyglotte, car sa langue est truffée de citations en langues étrangères, mais ensuite, et c’est le moment où son œuvre devient véritablement originale et novatrice, il passe au français (langue étrangère pour lui) et il entreprend son activité infatigable d’auto-traducteur. Mon propos est de montrer ici comment ces deux passages (de la langue maternelle à la langue étrangère et à la traduction) permettent à Beckett de modifier le code et le corps du texte, en engageant davantage l’instance du Surmoi (car la traduction relève aussi de l’interdit), mais en se débarrassant du côté plus instinctuel lié à la langue dite « maternelle » . En changeant de langue et en mettant la langue maternelle à distance par le biais de la traduction, Beckett se pose en observateur, critique et censeur, car il a pu ainsi mettre à distance son « vécu corporel » le plus douloureux. C’est alors que son style change et que le corps (du texte, mais aussi de l’auteur-traducteur) est en quelque sorte éloigné (tout en étant omniprésent) par le biais de l’ironie, de la citation et de la traduction.
Corps, traduction, autotraduction, théorie littéraire, psychanalyse, traductologie
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Utilizza questo identificativo per citare o creare un link a questo documento: https://hdl.handle.net/20.500.12607/34309
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